Mardi 6 janvier 2015 : La représentation artistique de la guerre aux XXème et XXIème siècles, compte-rendu rédigé par Luna Farronato 1ES3. Conférence organisée par Laurent Bachler, Professeur de Philosophie au Lycée Vaugelas à laquelle les élèves de 1ère option facultative ont assisté.

ART ET GUERRE

Introduction :

   Nous avons assisté le Mardi 6 Janvier à une conférence proposée par les Amis du Musée sur le thème de l'Art et la Guerre. La conférencière, professeure à la Sorbonne proposait ainsi de donner quelques éléments de réponses aux questions suivantes :

Quelles sont les représentations artistiques de la guerre ?

Quelle est l'influence de la guerre sur l'art ?

L'introduction à ces problématiques comprenait une reproduction d'une des œuvres les plus connus de Tammam Azzam, un artiste syrien : un collage constitué d'une image de décombres d'une maison sur lesquels il a superposé les personnages de La Danse de Matisse. Pour elle, les messages pourraient être multiples pour cette œuvre : un message d'espoir et une perspective de renaissance incarnée par la couleur vive des danseurs et la joie de leur danse ; la dénonciation du manque de représentants de la sphère artistique en Syrie, et surtout une critique de l'absence d'intervention de l'Union Européenne dans le conflit syrien.

 

I) Influences de la Première Guerre Mondiale

  

       Au début du XXème siècle, apparaît l’Expressionnisme Allemand. Ce mouvement artistique strictement opposé aux traditions bourgeoises, prônait un retour au source de l'art et à l'instinct en proposant un art subjectif plus ressenti que relié à toutes histoires et cultures. Pour les artistes du Die Brücke (le nom donné aux expressionnistes), l'arrivée de la première guerre mondiale est positive. Ce serait pour eux « la guerre des guerres » qui permettrait enfin de résoudre toutes les problématiques mondiales. Beaucoup n'hésitent pas même à s'engager volontairement dans l'armée, à l'exemple d'Otto Dix, Fernand Léger en France ou Kirchner. Cependant, ils ne tardent pas à vivre une véritable désillusion et le choc que l'horreur de cette guerre leur causera restera marqué dans leur art.

  Ainsi, Kirchner qui crée son Autoportrait caractéristique de l’expressionnisme allemand se représente amputé d'une main. Cette vision cauchemardesque symbolise pour lui la peur d'être blessé est de ne plus être en capacité de peindre. Il fera un séjour en hôpital psychiatrique et finira par se suicider en 1938, après que ces tableaux aient été considéré comme « art dégénéré » et que 638 de ses œuvres soient détruites.

  Otto Dix, lui, suit sensiblement le même parcours : engagé volontaire puis traumatisé, la peinture de tableau sur la guerre lui permettra de pratiquer une forme d'exorcisme. On retient de lui notamment le tryptique La Guerre qui représente le cycle de la vie d'un soldat sous la forme d'un épisode religieux. Son art est aussi considéré comme dégénéré.

  Un autre artiste affilié au mouvement Die Brücke est Ferdinand Léger. Soldat français pendant la première guerre mondiale, il revient à la fois fasciné et choqué par les machines de guerre. Dans des œuvres comme La Partie de Carte il représente des soldats déshumanisés et déconstruits qui forment collectivement une immense machine de guerre. Dans ce tableau la symbolique des cartes est aussi très importante, car elle donne à voir la dimension stratégique et celle du hasard de la guerre.

  Georges Grosz garde, lui, une vision apocalyptique et de fin du monde de la guerre, qu'il nous donne à voir dans Explosion. Dans cette œuvre apparaît une scène d'une grande violence, où des maisons aux lignes déconstruites mêlées à des membres humains font retrouver au spectateur le choc et l'incompréhension qu'ont ressenti les soldats.

  De plus, Sonia Delaunay se distingue des autres protagonistes par une vision beaucoup plus optimiste et éclatante de la guerre. Elle souhaite unir par l'art ce que la guerre a déconstruit en proposant des tableaux qui respirent la joie de vivre. Ainsi avec Soleils, nous montre-t-elle des prismes chromatiques de lumière décomposé au vertus apaisantes.

   Parallèlement à ces artistes inspirés par leur expérience combattante, un groupe de révolutionnaire nommé les Spartakistes, menés notamment par Rosa Luxembourg ou Karl Liebklesh, appellent en 1919 à la grève générale contre la guerre. Max Beckmann immortalisera les idéaux de ce mouvement avec La Nuit, œuvre dans laquelle une représentation de torture violente est mêlée à une scène chrétienne, afin de symboliser l'immoralité déclenchée par la guerre. Beaucoup de Spartakistes sont arrêtés et torturés pour leurs actions.

  Enfin, de nombreux artistes s'engagent en faveur de la paix : ainsi Claude Monet qui vient de perdre tragiquement sa femme et son fils peint-il ses fameuses Nymphéas. cette fresque représentant des fleurs de lotus flottant tranquillement sur un petit étang est un appel au calme et à la méditation. Il offrira ce tableau à l’État Français au lendemain de la guerre, et bien que celui refuse compte tenu de la responsabilité d'un tel don, la toile finit par être exposée au musée de l'Orangerie. Ou encore Picasso qui dénonce la guerre civile espagnole dans le très célèbre Guernica. Il le propose lors de l'Exposition Internationale, qui devait être l'occasion d'un rassemblement pacifique de toutes les nations afin de recréer les liens qui ont été détruits durant la seconde guerre mondiale, mais devient le lieu d'une compétition entre les artistes allemands et soviétiques.

   

         II)Influence de la Seconde Guerre Mondiale

 

Beaucoup des œuvres précédemment citées et bien d'autres sont considérées comme de l' « art dégénéré » par Hitler, qui nourrit une véritable haine à l'égard des artistes en tant que peintre raté. Une exposition consacrée à l'art dégénéré est même crée à Munich en 1938 sous l'initiative d'Hitler. Les tableaux d'artistes expressionnistes,surréalistes, dadaïstes côtoient des tableaux caractéristiques de l'art académique germanique, et des personnalités du régime Nazi comme Hitler et Goebbels font le déplacement.

Contrairement aux idées reçues, toutes ces œuvres ne sont pas détruites au cours du IIIème Reich : ils arrivent que certaines aient été vendus afin de remplir les caisses de guerre. Ainsi, le collectionneur Hildebrandt est chargé de trouver et de confisquer à leurs propriétaires toutes les œuvres d'art dégénéré en tant que grand admirateur, ce qui lui permettra d'ailleurs une relative tranquillité en tant que juif sous un régime antisémite. Il en vend pour les caisses de guerre, mais conserve une bonne part pour sa collection personnelle. A la fin de la guerre, il déclare avoir tout vendu et que le reste de sa collection a été détruite dans l'incendie de Dresde. L'histoire aurait pu s'arrêter là. Cependant, de nombreuses années plus tard, son fils se met à vendre une toile prétendument disparue, et des journalistes qui enquêtent découvre près de 1400 toiles des plus grands maîtres de l'art dit dégénéré. Durant toutes ces années, ces chefs d’œuvres patientait derrière un mur, camouflés par des boîtes de conserves ! Cela amène les autorités à une grande problématique : faut-il restituer aux familles initialement propriétaires les tableaux ? Aucune loi ne l'y obligeant, Gurlitt, dit le « Phantom », conserve la majeure partie de sa collection, bien qu'il restitue certaines œuvres sous les pressions de quelques familles.

   Anselm Kieffer sera d'ailleurs amené à peindre Au peintre Inconnu, une œuvre qui présente une structure caractéristique de l'architecture académique germanique au centre de laquelle trône une palette calcinée, qui est, bien-sûr une référence aux vaines tentatives d'Hitler pour devenir un artiste et à son acharnement sur les peintres en général. Ce même artiste crée Nuremberg, une œuvre riche de symbolique qui représente le procès de Nuremberg sous les traits d'un champ, terrain vague.         Il a collé à même la toile un mélange de paille et de terre. On suppose que c'est à la fois la représentation de la terre natale, mais aussi par la superposition de matière, une manière de parler des « couches » de l'histoire allemande.

  Certains artistes pressentent aussi très tôt ce qui deviendront les problématiques de la seconde guerre mondiale. A l'instar de Hans Bellmer, qui dans son installation Poupée propose un enchevêtrement de corps nu qui choque par l'impression de violence et de douleur qui en émane. On devine par cela une vision prophétique des manipulation à la fois psychologique et physique opérées par les régimes fascistes. De plus, dans Anatomie, Jeune Mariée, Max Ernst donne à voir un être mi-femme, mi-machine de guerre allongée dans une baignoire en métal comme dans un cercueil, et portant un simili de robe de mariage. Cette œuvre est aussi très révélatrice de l'impression de déshumanisation de l'être humain et de l’inquiétude des hommes à leur retour de la guerre par rapport aux femmes, car celle-ci ayant assumé le rôle masculin en leur absence, seront transformées. D'ailleurs, ces deux artistes se retrouvent enfermés ensemble après la seconde guerre mondiale, en premier lieu dans un camp d'internement français en tant qu'ennemis de la France, puis dans un second temps dans des camps en Allemagne en tant qu'artistes engagés contre le nazisme. Ernst exprime cette sensation de rejet par son dessin Les Apatrides où il se représente à la fois lui et à la fois la communauté juive allemande sous l'apparence de limes, comme pour manifester de son envie de s'échapper. Quand Bellmer, avec quelques 2000 artistes européens parvient à s'échapper vers les USA grâce à un riche ambassadeur en 1941, Ernst est contraint de rester car il ne possède aucun papier. Il finit par feindre la folie et est interné en hôpital psychiatrique.

   Le traumatisme de la Seconde Guerre Mondiale se répercute encore sur des artistes plus contemporains, qui profitent d'une vision d'ensemble du conflit. De fait, en Janvier 2010, Christian Boltainski offre une installation dans le Grand Palais : Personnes. Dans cette grande salle pas chauffée pour l'occasion, il propose une expérience physique et psychologique : le spectateur est assailli à son arrivé par le froid, le son d'un battement de cœur, l'odeur écœurante des piles de vêtements installées à même le sol, comme pour rappeler l'absence d'humains portant ces vêtements. Il permet ainsi de faire connaître l'histoire collective, qui est d'ailleurs pour lui aussi une histoire individuelle, puisque sa famille a été très marquée par la Shoah et qu'il a vécu son enfance en cachant son père. Il avait déjà traité dans son œuvre de l'Holocauste avec Autel Chases en 1988, où des photos d'élèves juifs étaient disposées sur des boîtes à biscuits en fer, éclairés par des ampoules, comme pour obliger le spectateur à regarder ces visages, ou mimer un interrogatoire. Zbigniev Libera lance aussi la polémique en 1996 avec son Camp de Concentration Lego. Cette installation constitué de legos organisés, et parfois peints, par Libera choque de nombreux individus, qui voient par là une banalisation de la Shoah. Cependant, à la grande surprise de l'opinion publique, de nombreux musées juifs à travers l'Europe achète cette œuvre, qui est reproduite en 7 exemplaires. Cela vaudra à l'auteur un procès de Lego, qui avait décidé de sponsoriser Libera sans savoir même à quoi s'attendre. L'artiste explique avoir voulut par là montrer comment s'est construit, pièces par pièces et collectivement la grande machine de l'Holocauste. Anselm Kieffer crée aussi Athanor, une installation permanente au musée du Louvre, ou un homme couché sur la terre sèche semble relier à la voûte céleste par un lien qui sort de son ventre. Le titre est symbolique, car Athanor était le nom d'un four crématoire, mais aussi un terme d'alchimie, car le corps du sujet se transforme en étoiles.

 

          III) Influences des guerres contemporaines

 

La guerre du Vietnam crée un autre séisme de l'opinion publique lorsqu'elle démarre en 1955. Dès les premières années, les américains sont très critiques par rapport à la violence dont font preuve les soldats américains. Wolf Wostell incarne cette révolte par son montage Miss Amerika qui montre une miss, car à l'époque ou la guerre éclate, se déroule parallèlement le concours de Miss Beauté, qui est ballonnée par un trait rouge, et une image de l'assassinat d'un jeune Viet Cong. Sur le même modèle de dénonciation des deux visages de l'Amérique, il crée le Bombardier Rouge à Lèvres.

 

Conclusion :

 

La conférence s'est close comme elle avait commencé : avec une œuvre de Tammam Azzam, intitulée Bon Voyage, où l'on voit un immeuble syrien bombardé emporté dans les airs par des dizaines de ballons de baudruche, comme pour signifier qu'il existe un univers au-delà des frontières et limites spirituelles. Une dernière image s'est affichée : un pochoir de Bansky où l'on peut voir une petite faire une fouille corporel à un soldat.